Publié le 21.06.2019

Conférence publique "Insight sur Mars : premiers résultats scientifiques" : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, s'est exprimée lors de la conférence publique "Insight sur Mars : premiers résultats scientifiques" qui s'est tenue en Sorbonne le 18 juin 2019.

Conférence Mars Insight

Seul le prononcé fait foi



J'ai visité le Salon du Bourget ce matin, j'inaugure avec tout autant de plaisir cette conférence cet après-midi, et je suis frappée de constater combien le ciel et l'espace sont toujours aussi généreux en grandes aventures et en belles histoires. Celle qui nous réunit aujourd'hui à la Sorbonne l'est tout particulièrement.

L'histoire est belle parce qu'elle parle de détermination et de persévérance. Le sismomètre SEIS, qui est un peu l'emblème de cette mission hors-norme, a été imaginé il y a 30 ans. Il a traversé bien des péripéties avant de quitter l'orbite terrestre et d'atterrir sur le sol martien, et l'on aurait tort de croire que l'aventure n'a débuté qu'au décollage de la sonde de la NASA le 5 mai 2018.

L'histoire est belle parce qu'elle parle de coopération, entre les nations - les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, sans compter les autres pays européens impliqués - ; entre les agences spatiales, au premier rang desquelles la NASA et le CNES ; entre laboratoires et notamment, pour SEIS, ceux de l'Institut de physique du globe de Paris, de l'I.S.A.E.-Supaéro, du Jet propulsion laboratory qui est le grand artisan de l'ensemble de la mission ; entre le monde académique et le monde industriel, puisque SEIS n'aurait pas vu le jour sans l'engagement de la société SODERN, qui est un exemple remarquable d'E.T.I. à la française.

Enfin, l'histoire est belle parce que c'est celle d'un exploit : il faut se rappeler que sur la quarantaine de missions lancées vers la planète rouge depuis les débuts de la conquête spatiale, plus de la moitié ont échoué, il faut se rappeler que les tentatives précédentes de faire fonctionner un sismomètre sur Mars, notamment celles du programme Viking dans les années 70, ont été vaines, et il faut se rappeler qu'avant d'enregistrer les premiers séismes martiens, SEIS a effectué un voyage de plus de 485 millions de kilomètres, qu'il est entré dans l'atmosphère martienne à 20 000km/h, qu'il a été déposé dans ce que l'on pourrait appeler son "bac à sable" par un bras motorisé, et que chacune de ces étapes aurait pu être la dernière. C'est donc bien une première mondiale qui nous réunit ici aujourd'hui. Elle donne la mesure de ce dont les hommes sont capables pour satisfaire un désir plus fort peut-être que tous les autres : comprendre, savoir, connaître.

Cette histoire, c'est celle d'Insight, et elle est d'autant plus belle qu'elle est véridique, et qu'elle participe de l'Histoire avec un grand H, car elle a d'ores et déjà donné naissance à une nouvelle science, la sismologie martienne, dont les premiers résultats vont vous être présentés aujourd'hui par ceux qui ont fait de cette mission périlleuse un succès. Car si cette histoire a ses héros, ceux-ci sont bien décidés à la partager avec le plus grand nombre, et c'est cette volonté de mettre quelque chose de rare, quelque chose d'exceptionnel à la portée de tous qui la rend si belle. En effet, dès la semaine prochaine, les données sismologiques et météorologiques de la mission seront accessibles à tous les scientifiques et à tous les citoyens du monde, jusqu'aux écoliers, collégiens et lycéens français, dans le cadre du programme SISMO à l'école.

L'objectif d'INSIGHT est aussi complexe à atteindre qu'il est simple à formuler, comme le sont souvent les grandes ambitions : connaître l'intérieur de Mars, dont on n'a pu jusqu'ici que gratter la surface, afin de comprendre pourquoi cette planète jumelle de la Terre a évolué de manière si radicalement différente. Moins de 6 mois après l'atterrissage de la mission, les entrailles de Mars ont commencé à parler : depuis le premier tremblement martien enregistré le 6 avril, 16 évènements ont été détectés, dont un de magnitude 3, ce qui laisse présager des évènements de plus forte magnitude qui permettront de sonder l'intérieur de la planète jusqu'à la limite entre le noyau et le manteau. Par ailleurs, le sous-sol est d'ores et déjà mieux connu, tout comme la couche limite de l'atmosphère martienne.

INSIGHT va ainsi compléter les études martiennes menées aujourd'hui par le robot Curiosity, et demain par le rover américain Mars 2020, premier maillon d'une longue chaîne de missions qui visent à rapporter sur Terre des échantillons de Mars. La mission européenne Exomars 2020 abordera quant à elle un autre pan de l'exploration spatiale, l'exobiologie, qui vise à identifier d'éventuels signes de vie extraterrestre. Ces explorations robotiques ouvrent la voie à l'exploration humaine, que nous préparons également au travers de missions habitées avec des astronautes de talent comme Thomas Pesquet. Toutes ces initiatives s'inscrivent dans un projet plus vaste d'exploration du système solaire, qui se poursuit en direction de Mercure avec la mission BepiColombo, du Soleil avec Parker Solar Probe et bientôt Solar Orbiter, de Jupiter avec le satellite JUICE qui sera lancé en 2022, sans oublier les astéroïdes Ryugu et Bennu, qui nous livrent leurs secrets depuis plus de 6 mois maintenant. Cette revue non exhaustive des programmes d'exploration du 21e siècle montre que l'épopée spatiale bat son plein et que l'humanité a plus que jamais le goût de la conquête et de la découverte qui caractérisait les

grands navigateurs de la Renaissance.
Tous ces projets ont par ailleurs deux points communs : le premier, c'est qu'ils ne sont jamais portés par un seul pays. L'exploration spatiale existe grâce à la coopération internationale : d'abord parce que c'est une entreprise démesurée, mais aussi parce chaque mission vient apporter sa pierre à un édifice qui à la fois nous dépasse et nous concerne tous, la connaissance de l'Univers. Il est donc essentiel que les projets soient parfaitement coordonnés et les résultats partagés le plus largement possible.

Le second, c'est que la France en est toujours partie prenante, par le biais de ses équipes ou de ses instruments. C'est SEIS sur INSIGHT, c'est Supercam sur Mars2020, ce sont les 8 laboratoires français impliqués dans Bepicolombo. Si la France apparaît comme un partenaire incontournable, c'est parce que sa recherche spatiale est une recherche d'excellence, que ses instruments embarquent une technologie de pointe, que ses équipes sont des équipes de haut-vol et ce, dans toutes leurs composantes, des enseignants-chercheurs qui conçoivent les robots jusqu'aux tourneurs fraiseurs qui usinent leurs pièces en passant par les ingénieurs qui les programment.

Mais INSIGHT ne donne pas seulement à voir une recherche spatiale française au meilleur niveau : elle donne à comprendre ce que chercher veut dire. Parce qu'elle se mesure à des distances et à des échelles de temps vertigineuses, parce qu'elle repousse toutes les limites et prend tous les risques, l'exploration spatiale est une parfaite métaphore de la recherche en général. Chercher, c'est s'inscrire dans le temps long, c'est endurer l'échec et savoir rebondir, essayer et réessayer sans se décourager, et vous en savez quelque chose, cher Philippe Lognonné : vous avez commencé à travailler sur un projet de sismomètre martien dès la fin de votre thèse en 1989, puis vous avez vu votre premier sismomètre en partance pour Mars sombrer dans l'océan Pacifique en 1996 suite à une défaillance du lanceur. C'était là le premier épisode d'une longue série de rebondissements, de hauts et de bas, de missions avortées ou reportées, mais aussi de belles rencontres et de témoignages de confiance, qui tous, ont contribué à vous amener ici aujourd'hui. Il y a parfois autant à apprendre des coulisses des plus grands exploits que des exploits eux-mêmes et celles de SEIS offrent une belle leçon de ténacité à tous les doctorants qui s'initient au temps long en travaillant sur leur thèse, à tous ces jeunes chercheurs qui aujourd'hui s'investissent sans compter sur des missions qui ne produiront leurs premiers résultats qu'en 2030 ou 2040, et, plus généralement à tous ceux qui ont un rêve à accomplir.

Ne jamais se décourager, ne jamais baisser les bras, car cette quête de savoir, aussi longue soit-elle, n'est jamais vaine. Au bout des millions de kilomètres parcourus par Insight, il y a des réponses aux questions essentielles que nous nous posons sur la formation de l'univers et des éléments chimiques qui nous constituent, il y a des connaissances nouvelles en chimie, en physique, en biologie. Et il y a, aussi, des innovations qui peuvent changer notre quotidien. La recherche et l'exploration spatiales sont un puissant moteur d'innovation technologique car l'espace est un laboratoire de l'extrême : il soumet la matière à des contraintes si fortes, il exige des appareils un tel degré de fiabilité, que pour s'y aventurer il faut fournir des efforts technologiques sans précédents qui profitent à de nombreux secteurs industriels sur Terre. On sait la dette d'IBM à l'égard du programme Apollo : c'est celle des ordinateurs à l'égard de l'électronique embarquée. Aujourd'hui, les logiciels font ce même bond en avant au contact de ce milieu sans concession où la moindre erreur peut-être fatale.

Entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, entre les technologies spatiales et les technologies terrestres, entre l'exploration de l'Univers et la vie quotidienne sur Terre, les frontières sont loin d'être étanches. De même, je crois qu'il faut se garder de séparer, voire d'opposer, un spatial « utile », celui des télécommunications, de la défense, de la météorologie et de l'observation du climat, à un spatial "existentiel", celui des rêveurs, des philosophes, des explorateurs, à la recherche des origines de la vie et de nouveaux mondes. D'abord, parce qu'il n'y a de progrès ni sans l'un ni sans l'autre. Pour l'humanité, progresser c'est à la fois améliorer son quotidien et élargir sa compréhension du monde. Ensuite et surtout, parce qu'en réalité, les deux sont intimement liés et avancent de concert. Des missions scientifiques spatiales aussi ambitieuses qu'INSIGHT font mûrir des technologies clés qui deviennent ensuite des atouts compétitifs importants pour les programmes commerciaux et export. Ainsi, les structures optiques en carbure de silicium fabriquées par Airbus pour la sonde Rosetta ont volé par la suite dans des satellites commerciaux d'observation de la terre. Et je pense que SODERN, avec un pied dans SEIS et un autre dans OneWeb, pourrait témoigner de la dynamique d'innovation qui peut naître de l'implication simultanée dans deux projets hors-norme comme ceux-là.

La réalité, c'est qu'il n'y a qu'un seul et même secteur spatial, et j'en suis encore plus convaincue aujourd'hui, alors que je suis passée du Salon du Bourget à cette conférence sur Insight.

Ce qui fait la force du secteur spatial, c'est précisément sa capacité à aller de la science exploratoire la plus désintéressée jusqu'au développement d'applications et de services sur Terre. D'une main le spatial cherche des traces de vie extraterrestre avec ses robots et de l'autre il soutient l'agriculture de précision grâce à l'imagerie satellitaire ; il écoute battre le cœur de la planète rouge avec un sismomètre de pointe tout en prenant le pouls de la planète bleue avec ses satellites d'observation ; il étudie la structure interne des planètes rocheuses mais il réduit aussi la fracture numérique entre les citoyens du monde : toutes ces questions sont d'égale dignité, toutes ces questions sont d'égale importance car elles préparent, chacune à leur manière, l'avenir, proche ou lointain. Et ce qui fait le lien entre elles, ce qui fait l'unité du secteur spatial, de la science jusqu'à l'innovation industrielle, c'est d'abord la recherche, ses laboratoires, ses chercheurs, ses enseignants-chercheurs, à qui je vais maintenant céder la parole.